« Fin de siècle »: un foisonnement de styles


Par Ferran Gili-Millera, directeur artistique d’Amabilis

La fin du XIXe siècle et le début du XXe constituent une période passionnante de l’Histoire de la musique. D’un point de vue esthétique, la fin du romantisme ouvre plusieurs voies qui conduiront à différentes formes d’expression artistique, qui vont souvent interagir entre elles : principalement, le nationalisme musical et la récupération des folklores respectifs, l’impressionnisme, le néo-classicisme, l’expressionnisme et même le post-romantisme plus ou moins continuiste, toujours ancré dans les principes du siècle précédent. D’un point de vue technique et idiomatique, le système tonal qui a été à la base de toute la musique écrite depuis le XVIIIe siècle atteint les limites de son développement et ouvre également la voie à d’autres langages, qui n’auront plus l’accord parfait comme base absolue de leur existence.

Dans ce contexte, le compositeur se trouve devant une multitude de possibilités stylistiques qui feront de cette période l’une des plus riches qui soient. Artistiquement parlant, évidemment. Parce que, politiquement, des grands drames vont s’abattre sur l’Europe.

Richard Strauss, Jean Sibelius, Béla Bartók et Jacques Ibert sont nés entre 1865 et 1890, en des endroits si divers que Munich, Paris ou les campagnes hongroise et finlandaise. Les quatre ont vécu cette fin de période romantique et ont fait des choix esthétiques différents. Non seulement différents entre eux, mais également au long de leur propre carrière artistique.

Les œuvres présentées ce soir offrent, d’une façon ou d’une autre, un regard sur le passé. Celui-ci n’a pas toujours été le style de leur compositeur, et ce regard n’est pas le fruit d’une même démarche artistique chez les quatre auteurs, mais il donne sens et cohérence à notre programme.

Les recherches de Béla Bartók sur le folklore de l’Europe centrale se situent entre 1909 et 1918. Bartók parcourt les villages hongrois et roumains avec un enregistreur à cylindres, et recueille un matériel qui lui permettra de publier cinq livres et de nombreux articles, ainsi que près de deux mille mélodies traditionnelles. La première version des Danses populaires roumaines est écrite pour piano, en 1915. Ce sont six pièces composées exclusivement sur des mélodies populaires, d’une durée relativement courte. Deux ans plus tard, le compositeur écrit la version orchestrale et dédouble la dernière danse, pour faire une suite en sept mouvements ; mais cela a peu d’importance dans l’interprétation, du moment que les différentes parties doivent être jouées sans interruption. L’orchestration ne comporte que les cordes et un nombre restreint de vents. Les flûtes et clarinettes, ainsi qu’un violon solo, suffisent à donner aux quatre premières danses une petite variété de timbres, et la texture orchestrale ira crescendo tout au long de la suite : des parties pour instruments solistes dans le début, aux grands tutti dans les dernières danses.

Jean Sibelius, le compositeur national finlandais, aborde, tout comme Debussy, Fauré et Schönberg, le drame symboliste Pelléas et Mélisande, du poète flamand Maurice Maeterlinck. L’action se déroule dans une Allemonde imaginaire, avec des protagonistes qui demeurent obscurs et dont on ignore tout sur leur passé. Au cours d’une chasse, le prince Golaud découvre Mélisande, une jeune fille aux cheveux d’or, perdue et en larmes. Il la prend sous sa protection, puis il l’épouse. Mais Mélisande ne sent que de l’estime pour le prince vieillissant, et l’amitié qu’elle a nouée avec Pelléas, demi-frère de Golaud, va se transformer en amour. Découverts par le prince lors d’une rencontre secrète, Pelléas est poignardé et Mélisande gravement blessée. Elle sombre dans l’inconscience, et ne s’éveille que pour un instant, en accouchant d’un enfant. Golaud demande à son épouse si elle lui a été infidèle, mais Mélisande refuse de répondre et accepte sereinement la mort.

La musique de Sibelius a accompagné une quinzaine de représentations de l’œuvre théâtrale, en 1905. Le compositeur en a fait une suite concertante en huit mouvements. Le style est concentré et austère, avec de larges cantilènes nostalgiques et des descriptions qui évoquent souvent le mystère, le lointain et les atmosphères pesantes. La Pastorale et l’Entracte apportent un peu de lumière à une ambiance principalement sombre, où même la description du mouvement du rouet a quelque chose de menaçant.

Jacques Ibert, le compositeur le plus tardif de ce programme, nous a laissé une œuvre d’une grande diversité, aussi bien par les genres (des pièces pour piano, des suites symphoniques, des concertos, des opéras, des ballets et de la musique pour la radio, le théâtre et le cinéma) que par les styles, allant de l’impressionnisme au néo-classicisme. Son écriture montre des influences qui peuvent l’apparenter à l’héritage debussyste comme à celui du Groupe des Six, où se trouvent Poulenc, Milhaud et Honegger. Mais, dans tous les cas, son œuvre possède la clarté et l’élégance que l’on associe en général à la musique française.

Son Hommage à Mozart, créé en 1956, est une commande de la Radiodiffusion française pour commémorer le bicentenaire de la naissance du compositeur salzbourgeois. Comme dans beaucoup d’autres œuvres, Ibert utilise une forme traditionnelle ; ici, celle du rondeau, qui alterne refrain et couplets, et dont Mozart s’est beaucoup servi dans sa production. Le style de l’œuvre est quelque peu ironique, qualité qui évoque également Mozart. Des mélodies à l’inspiration clairement mozartienne apparaissent dans les différentes sections, harmonisées et orchestrées de façon moderne, ce qui confère à la pièce un caractère à la fois éclectique et légèrement décalé.

Mozart est également présent dans l’œuvre de Richard Strauss, particulièrement dans ses premières compositions, mais aussi dans certains de ses opéras, comme Le chevalier à la rose, Ariane à Naxos ou La femme sans ombre. D’ailleurs, Strauss appelait son librettiste du nom de celui de Mozart : Hofmannsthal était son Da Ponte. Le Concerto pour cor en mi bémol majeur, op. 11, a été écrit à l’âge de dix-huit ans. Le père de Richard, Franz Strauss, était premier corniste à l’Opéra de la cour de Munich. Son fils connaissait bien les possibilités techniques et expressives de l’instrument, qu’il exploita jusqu’à leurs extrêmes. Au point que Franz jugea le Concerto trop difficile et céda la création de la version avec piano à l’un de ses élèves. L’œuvre comporte trois mouvements, qui s’enchaînent par des transitions construites sur des éléments thématiques des parties respectives. Le style héroïque est annoncé dès la première phrase et dominera tout le premier mouvement, exposant le soliste presque sans relâche. Le lyrisme et la grâce – à nouveau – mozartienne du deuxième mouvement conduisent à un troisième mouvement en forme rondeau, encore un passage de bravoure pour le cor, qui conclura le Concerto de façon brillante.

Ferran Gili-Millera


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