Georg Friedrich Haendel : Le Messie


Par Ferran Gili-Millera, directeur musical d’Amabilis

En 1789 – deux ans avant sa mort – Mozart réorchestra le Messie de Haendel, à l’occasion d’un concert qu’il devait diriger lui-même pour une société viennoise de concerts.

Il s’agissait de la Gesellschaft der associierten Cavaliers, fondée par le Baron van Swieten trois ans plus tôt et qui organisait régulièrement des concerts d’oratorio.

Mozart en était le directeur musical, et avait reçu la commande d’adapter quelques œuvres de Haendel en les rendant plus en accord avec les goûts de l’époque. En cette même période, Mozart,  par ailleurs grand admirateur de Haendel, comme de Bach, retravailla les partitions de Acis et Galatea, Ode for St Cecilia’s Day et Alexander’s Feast.

Le Messie, dans sa version originale, avait été créé à Dublin en 1742. Le grand succès irlandais fut suivi un an plus tard par un accueil mitigé de la part du public londonien, et l’oratorio ne s’imposa comme une des grandes œuvres du répertoire qu’à partir de 1759. Mozart l’entendit deux fois : en Angleterre, lors de son voyage de 1764 (à l’âge de huit ans) et à Mannheim, en 1777.

Concert après concert, Haendel n’a pas hésité à modifier la partition, avec la transposition, suppression, nouvelle composition et interversion de chœurs et arias, selon les exigences des chanteurs, des lieux ou des effectifs. Si bien qu’il existe aujourd’hui une multitude de possibilités d’interprétation, rien que pour le choix des différentes parties, et que la décision sur une éventuelle version « définitive » de l’œuvre pose problème.

Dans ce contexte, la commande de van Swieten répondait à une démarche qui nous paraîtrait inconcevable aujourd’hui, mais qui était relativement courante à l’époque. Le fait de moderniser les partitions, en modifiant ce que le public considérait déjà comme archaïque, les rendait plus accessibles et, pour peu que le transcripteur ait été compétent et respectueux, cela n’enlevait rien au message que le compositeur avait voulu transmettre. Au contraire, ce même message devenait plus compréhensible : non seulement personne n’avait l’impression de participer à un quelconque sacrilège vis-à-vis de l’œuvre ou de son auteur, mais l’on était persuadé d’avoir rendu service à l’une et à l’autre.

Dans ce souci d’intelligibilité, c’est la traduction du libretto en allemand, par Klopstock et Ebeling, réalisée déjà en 1782, que van Swieten lui-même écrivit dans la partition.

Certes, quelques excès virent le jour : en 1784, lors d’un festival Haendel à Westminster Abbey, le chœur comptait 525 chanteurs ; trois ans plus tard, ils étaient 800. L’orchestre grandit dans la même proportion et, en 1788, une année avant Mozart, Johann Adam Hiller présentait sa transcription dans la Cathédrale Réformée de Berlin, avec 36 premiers violons, 39 seconds, 18 altos, 23 violoncelles, 15 contrebasses, 12 flûtes, 12 hautbois, 10 bassons, 8 cors, 6 trompettes, 4 trombones et 2 timbales, c’est à dire plus de 180 musiciens.

Mais l’idéal de Mozart est bien loin de ces démesures, même s’il ajoute aussi des instruments que Haendel a ignorés, par choix délibéré, par les conventions de son époque ou simplement parce que certains n’étaient pas suffisamment développés cinquante ans plus tôt : flûtes, clarinettes, cors et trombones viennent – délicatement – compléter une orchestration qui, à l’origine, ne comprenait que cordes, trompettes et timbales, puis hautbois et bassons dans une nouvelle version de Haendel. Et, surtout, le rôle des instruments à vent ne se limite pas  à doubler les cordes la plupart du temps, mais à donner une coloration particulière aux différentes textures  sonores.

Le résultat, cette transcription écrite pour une formation habituelle dans la Vienne de la fin du XVIIIème, respecte fidèlement la nature de l’original tout en le rapprochant de la Grande Messe en ut, du Requiem, et même des œuvres profanes telles que Don Giovanni ou Die Zauberflöte. Ces nouvelles sonorités nous les rappellent en filigrane, et cela même lorsque les effectifs orchestraux ne sont pas identiques.

Ce Messie, donc, appartient-il à Haendel ou à Mozart ? Pour Mozart, la question ne se pose même pas : c’est bien du Messie de Haendel qu’il s’agit, et ses modifications ne lui enlèvent pas un seul soupçon de paternité. Pour nous, auditeurs depuis longtemps habitués aux interprétations à l’ancienne, aux recherches d’authenticité plus ou moins strictes, la réponse est plus difficile à donner. Prenons juste cette partition comme l’exemple de l’unité parfaite entre le Baroque et le Classicisme, entre deux compositeurs géniaux qui, se trouvant tous deux dans l’apogée de leur maturité artistique, ont légué, ensemble, une des plus belles œuvres sacrées qui soient.

Ferran Gili-Millera


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